Vincent, pouvez-vous nous expliquer comment vous intégrez l'intelligence collective dans votre rôle de chargé de développement et d'innovation au Louvre Lens Vallée ?
Dans le cadre de mon métier, je pars souvent du principe que "le tout est supérieur à la somme des parties". La richesse naît souvent de la diversité des visions et expériences du groupe. Nous sommes amenés à animer des collectifs et nous inspirons pour ce faire de méthodologies issues du design (notre équipe compte d'ailleurs un designer de formation pour nous épauler). Nous avons pour ce faire modélisés un outil dénommé "Compositeur" (en référence à la pratique musicale), permettant de structurer les différentes étapes d'une réflexion collective. Cet outil apporte à la fois une matérialité et une méthodologie de travail. Nous l'utilisons pour : mettre en oeuvre des phases divergentes (exploration large, brainstorming),
des phases convergentes (synthèse, priorisation), des séquences collectives (croiser les regards), réaliser des prototypages.
Selon vous, quels sont les avantages concrets de l'intelligence collective pour les chefs de projet que vous accompagnez ?
Enrichissement de la phase d'idéation et de conception : une détection précoce des angles morts conceptuels, une exploration plus complète du territoire des possibles (beaucoup plus d'idées générées)
Un test précoce de la désirabilité du projet
Une anticipation plus fine des risques
Une réduction du temps de prototypage
Une mutualisation des ressources et expertises
Avez-vous un exemple précis d'un projet où l'intelligence collective a permis de surmonter un obstacle majeur ?
Je peux vous citer l'exemple d'un projet de médiation culturelle, visant à penser, prototyper et déployer un dispositif numérique et interactif de restitution des témoignages d'anciens mineurs de fonds. L'idée de départ du porteur de projet portait sur la mise en oeuvre d'une technologie de type hologramme. A la lumière de plusieurs ateliers d'intelligence collective, un pivot a été opéré - permettant de surmonter plusieurs obstacles : obsolescence rapide de la technologie, coûts (maintenance, investissements de départ), déshumanisation. L'outil de médiation retenu et réfléchi collectivement s'est orienté vers un dispositif de commande textuelle, offrant la possibilité de questionner, de converser et de bénéficier du témoignage d’anciens mineurs de fonds, au travers d’un écran grand format et via la diffusion de captations vidéo. Un corpus de données liée aux interviews des mineurs et l’association d’une IA générative ont été mis en place, permettant de nourrir les échanges avec les visiteurs.
Comment évaluez-vous l'importance de la diversité des idées dans le processus d'innovation, et comment cela se traduit-il dans votre méthodologie de travail ?
La diversité cognitive agit comme un multiplicateur d'efficacité dans la résolution de problèmes complexes. Un ingénieur, un designer, un anthropologue et un financier n'aborderont pas un même défi avec les mêmes schémas mentaux. En combinant ces approches, le groupe accède à un répertoire d'heuristiques considérablement élargi.
Dans les ateliers d'intelligence collective, j'observe régulièrement comment un blocage apparent se dénoue soudainement lorsqu'une personne extérieure au domaine principal introduit une perspective inattendue. C'est une approche que nous essayons d'adopter au Louvre-Lens Vallée : mêler et faire dialoguer les singularités.
Quels outils pratiques recommandez-vous aux entrepreneurs pour favoriser l'intelligence collective lors du développement de preuves de concept ?
Les outils pratiques sont multiples. Cependant, au delà de l'outil, c'est la capacité à animer et la posture du facilitateur qui proposera une réelle plus value.
Je peux néanmoins vous en citer quelques-uns :
La cartographie des parties prenantes : un outil simple mais puissant consiste à créer une cartographie visuelle de toutes les parties prenantes concernées par sa preuve de concept, en y ajoutant une dimension d'analyse (interactions, besoins, contraintes)
Le "Problem Framing Canvas" collectif : canevas proposant différentes sections: "Problème apparent", "Causes racines", "Conséquences", "Contraintes", "Opportunités cachées"
Le "Minimum Lovable Product Canvas" : réflexions collectives autour de différents champs - "Fonctionnalités essentielles", "Expérience mémorable", "Parcours utilisateur", "Métriques de succès", "Éléments à exclure délibérément"
De manière générale, ne pas hésiter à opérer une veille sur les outils utilisés par les designers, véritables maîtres en la matière.
Comment parvenez-vous à équilibrer innovation et respect des exigences traditionnelles du monde des affaires dans vos projets ?
Pratiquer l'innovation contextuelle plutôt que l'innovation disruptive (mot un peu fourre-tout) à tout prix - il s'agit d'innover en tenant compte du contexte existant plutôt que de chercher systématiquement à tout réinventer.
On adopte ainsi une approche plus réaliste, plus pragmatique.
Favoriser l'expérimentation, afin de limiter les risques (produits, financiers, humains) et pouvoir affiner au mieux son projet, en accord avec les exigences du monde des affaires.
Enfin, comment voyez-vous l'évolution de l'intelligence collective dans le développement de projets dans les années à venir, et quels conseils donneriez-vous aux jeunes professionnels dans ce domaine ?
L'intelligence collective est un concept qui gagne en importance dans le développement de projets, en particulier dans un monde de plus en plus complexe et incertain.
Quelques conseils aux jeunes professionnels :
Pratiquer régulièrement la facilitation dans des contextes variés pour gagner en expérience.
Cultiver l’écoute et la posture de facilitateur : votre rôle n’est pas d’avoir toutes les réponses, mais de permettre aux autres de les trouver ensemble. Savoir créer un cadre de confiance est essentiel.
Apprendre à gérer l’incertitude : un bon projet en intelligence collective ne suit pas toujours un plan linéaire. Accepter les pivots et tirer parti des nouvelles idées qui émergent en cours de route.
